ECOUTEZ AVEC LE CORPS — RETOURS SUR UNE EXPERIMENTATION MENEE AU MUSEE CARNAVALET

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Mercredi dernier, en accord avec Paris Musées, une borne Losonnante a été installée pour un mois dans une logique d’expérimentation auprès des publics du musée Carnavalet. A cette occasion, un évènement a été organisé le 27 octobre par {CORRESPONDANCES DIGITALES], Paris Musées et Losonnante auprès de professionnel.l.e.s de musées, de prestataires et d’institutionnels pour leur proposer de tester cette borne d’immersion sonore par conduction osseuse et en évaluer la pertinence d’usages.

La borne Losonnante, une borne d’immersion sonore par conduction osseuse.

DE L’IMPORTANCE DU LIEU…

Au sein du musée Carnavalet, proche de la chambre de Proust, se trouve une pièce, un salon doré, hors du temps, seul espace où le décor datant du XVIIe siècle a été conservé et restauré. Situé initialement dans l’hôtel particulier Le Peletier de Saint-Fargeau, ce salon, sorte d’antichambre du musée, accueille les visiteurs pour une pause immersive dans ce décor anachronique à l’instar d’autres « périod rooms » qui ponctuent le parcours de visite du musée parisien.

C’est dans cette pièce que la borne Losonnante a trouvé sa place pour proposer aux visiteurs de redécouvrir ce salon en s’immergeant dans l’écoute de trois extraits des musiques des compositeurs parisiens Marc-Antoine Charpentier et Jean-Baptiste Lully, emblématiques de la création artistique du Grand Siècle.

Le salon doré au Musée Carnavalet où a été installé la borne Losonnante.

Emplacement idéal pour faire une pause, vivre un moment de détente, s’immerger dans l’esthétique des lieux, la borne aurait pu aussi, pourquoi pas, être proposée, comme l’ont évoqué différents participants de cette expérimentation, en introduction du parcours de visite. Elle serait alors une porte sensible, une clé pour entrer dans les espaces d’un musée.

… POUR UNE EXPERIENCE SENSIBLE ET IMMERSIVE

A l’approche de la borne, des cartels explicitent les œuvres proposées et la façon de se positionner pour accéder à l’expérience d’écoute. Particulièrement clairs et bien écrits dans le cadre de cette expérimentation, ils sont d’autant plus primordiaux qu’il semble nécessaire de bien s’installer face à la borne dès le départ pour une expérience optimale.

Le cartel créé dans le cadre de l’expérimentation qui explicite le modus operandi pour utiliser la borne mais aussi présente les contenus sonores à disposition.

Une fois installé, le fait d’accéder au son par des gestes favorise une richesse et une diversité d’usages : le volume sonore peut être modulé selon la position adoptée, le déplacement du coude peut permettre de passer d’un morceau à l’autre, ne positionner qu’un seul coude libère une oreille pour s’immerger partiellement tout en restant à l’écoute des autres visiteurs et des bruits environnants.

En fonction du positionnement de son corps, l’usager de la borne peut moduler son rapport au son.

L’usage de la borne Losonnante mise à disposition au Musée Carnavalet nécessite de s’asseoir, de mettre les coudes sur celle-ci, bien positionnés sur les capteurs, puis, d’accoler les mains à ses oreilles. Une pose comme celle-ci peut paraître bien peu naturelle, peu confortable et, surtout peu conventionnelle. Elle s’envisage plutôt dans des moments d’intense réflexion pour des adultes ou de repli sur soi pour les enfants. Un professionnel évoquait malicieusement un positionnement proche de celui de « l’enfant qui boude ».

Une telle posture incite, par conséquent, à se figer hors du temps, dans un moment à soi. Le rapport au corps devient alors primordial et total puisque, par lui, passe le son. Une telle implication sensible qui mobilise l’ouïe mais aussi le toucher (fonction haptique) semble faciliter la mise en abstraction de son environnement pour ressentir les vibrations produites par la musique et le son.

Si, fermer les yeux peut accroître la sensation de se sentir comme « dans une petite bulle » et s’immerger plus intensément dans le son (« Fermez les yeux et écouter »), à l’inverse, les ouvrir permettraient de lire autrement et « d’habiller d’une ambiance » les objets ou décors de cette salle. Concernant les objets, leur proximité favoriserait un lien presque évident avec les sons écoutés. En revanche, dans une appréhension plus large d’un espace, sans objet à proximité, l’explication du dispositif semble nécessaire par le biais d’un cartel pour expliciter l’usage de la borne et mieux s’immerger dans une ambiance sonore.

… A LA DECOUVERTE D’UNE VARIETE DE SONS

Si l’écoute d’une source sonore par conduction osseuse semble plus lointaine a contrario d’autres solutions (audioguides, douches, cornets…), cette perception varie selon les types de contenus écoutés. Modulo quelques sons graves, un peu saturés, les contenus d’ambiance ou musicaux sont très bien perçus. Le contenu textuel nécessiterait, quant à lui, de laisser la main au visiteur pour moduler le volume. Pour autant, selon la responsable du numérique de Paris Musées, Scarlett Greco, ce système de bornes semble plus pertinent que d’autres dispositifs tant en termes d’hygiène, que de robustesse ou que de capacité immersive.

C’est d’ailleurs sur ce dernier point que les échanges lors de notre expérimentation furent particulièrement riches. L’engagement du corps nécessaire à l’écoute de Losonnante, les vibrations qu’elle émet pourraient ainsi œuvrer à rendre plus accessibles certains contenus sonores, voire, à avoir des vertus d’apaisement pour les publics qui l’utiliseraient. C’est donc à des usages à des fins thérapeutiques qu’ont pensés nos participants. D’autres ont aussi évoqué les potentialités qu’une telle borne pourrait offrir pour s’isoler dans un moment de recueillements dans des lieux de mémoire, découvrir l’environnement autrement dans des espaces naturels, patienter, voire, déconnecter d’endroits stressants et à forte affluence (gares, aéroports, etc.).

Initialement envisagée dans une logique d’amélioration continue pour un dispositif particulièrement innovant, cette expérimentation a permis d’ouvrir à d’autres pratiques une borne qui œuvre à engager corporellement ses usagers dans de nouvelles formes de perception par le toucher et l’ouïe et rendre ainsi plus tangible ce qui s’écoute.

Un grand merci à l’équipe du service numérique de Paris Musée qui a rendu possible cette expérimentation, à celle du Musée Carnavalet pour leur accueil et leur implication, à Losonnante qui a mis à disposition sa borne pour cette expérimentation. Merci aussi à l’ensemble de nos participant.e.s qui, par leurs retours, ont alimenté de riches échanges et réflexions.

Antoine ROLAND

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